MENS 30 - Des souris et des rats, petits soucis et grands tracas

Page 4

Mastomys, le rat à mamelles multiples

Vive la taxonomie Les rongeurs forment un groupe très diversifié, dans lequel les espèces sont bien reconnaissables. Un écureuil, un castor et un hamster, par exemple, sont faciles à distinguer les uns des autres. Mais dans le groupe des rats et des souris, les différentes espèces peuvent s’avérer difficiles à identifier : certaines se ressemblent parfois si fort qu’il est impossible de les différencier à première vue et que seul le crâne permet de les distinguer. Parfois, les crânes sont tellement similaires qu’on ne peut plus faire la différence. Pourtant, cette différence peut s’avérer une donnée très importante. En Afrique du Sud, par exemple, vivent deux espèces de rat à mamelles multiples : le Mastomys natalensis et le Mastomys coucha. La seule différence connue entre les deux espèces se situe au niveau des chromosomes : la première en possède 32, l’autre 36. La seconde est un bon vecteur de la peste bubonique, la première beaucoup moins. La propagation de cette maladie en Afrique australe est donc étroitement liée à la répartition du Mastomys coucha.

à présent les parentés entre les espèces. Pour ce faire, on compare l’ordre des nucléotides dans des fragments d’ADN (voir encadré en page suivante). Le schéma ci-dessous présente l’arbre généalogique des animaux de l’espèce Grammomys, avec leurs liens de parenté. Il s’agit de rats africains minces, qui vivent surtout dans les arbres. Cet arbre généalogique a permis aux chercheurs de l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique, à Bruxelles, et de l’Univer-

Arbre généalogique du Grammomys, le rat arboricole d’Afrique

Les techniques moléculaires contemporaines permettent de découvrir encore d’autres espèces et de mieux reconnaître

La répartition des deux espèces de Mastomys : à gauche la région où l’on trouve le Mastomys natalensis, à droite celle du Mastomys coucha.

MENS 29

4

Ce schéma explique de quelle façon les différentes souris Grammomys (des diverses régions) sont apparentées. Pour déterminer le degré de parenté, les chercheurs intègrent généralement dans leurs analyses des espèces moins apparentées, des Praomys et des Hylomyscus dans ce cas. Cela s’appelle un ‘out group’. Les souris dans le bas de la liste constituent un groupe (indiqué en rouge), c’est le genre Grammomys au sens strict (s.s. sensu stricto). Les lignes vertes indiquent un groupe fortement apparenté (le groupe ‘kuru’. Les deux groupes forment ensemble le genre Grammomys au sens large (s.l. sensu lato).

sité d’Anvers de découvrir qu’il existe au moins deux fois plus d’espèces de Grammomys que ce qu’ils ne pensaient. Un tel arbre généalogique aide également à déterminer comment ces espèces ont évolué séparément. Comment les espèces parentes ont-elles vu le jour, quel a été le rôle du paysage, du climat, des autres animaux vivant au même endroit au cours des millénaires précédents… ? Le Grammomys est un hôte naturel du parasite de la malaria, un organisme unicellulaire que les moustiques transmettent d’un hôte à l’autre. La malaria est une maladie particulièrement répandue sous les Tropiques, qui tue au moins un million d’individus par an. Mais la maladie ne se développe pas uniquement chez les humains : les rongeurs peuvent également l’attraper. Chez les Grammomys, chaque espèce individuelle est touchée par un type de malaria spécifique. L’arbre généalogique permet de déterminer exactement l’espèce à laquelle appartient chaque animal. Sans devoir mesurer la boîte crânienne : une goutte de sang suffit. Plus encore, les séquences génétiques fonctionnent exactement comme des codes à barres : l’ordre des bases permet de classer l’animal dans l’une ou l’autre catégorie. En appliquant la même méthode aux parasites de la malaria (dont il existe également diverses espèces), le chercheur peut contrôler les codes des organismes avec lesquels il travaille, ce qui lui évite de se lancer dans une série d’expériences en injectant le « mauvais » parasite dans le « mauvais » Grammomys. Cette possibilité de réaliser immédiatement la « bonne expérience » profite à toutes les parties : au chercheur, qui obtient rapidement un résultat et aux rats, qui sont ainsi moins nombreux à souffrir inutilement. Mais elle permet aussi d’obtenir plus rapidement des résultats, de produire des médicaments et donc de guérir les patients. La taxonomie peut faire avancer la médecine.


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.